lundi 5 décembre 2022 à 20h

DETROITERS

De l'ultra-verticalité de Robocop chez Paul Verhoeven à la mélancolie musicale d'Only Lovers Left Alive chez Jim Jarmusch, Detroit hante le cinéma américain depuis des décennies déjà. Ville déchue, ville fantôme, mais aussi berceau de l'industrialisme et de la culture techno, la métropole a nourri les fantasmes du septième art, devenant tour à tour le Gotham City de Batman vs Superman et le bastion des violences chez Clint Eastwood. Si l'on connaît tous la silhouette de Motor Cityet l'imaginaire qui y est associé, on est finalement bien moins familier de ses habitant.e.s et de leur histoire.
Avec ce premier documentaire, Andrei Schtakleff s'attache à en dresser le portrait, par touches délicates et par le prisme du militantisme : point de photos de famille ou d'anecdotes d'enfance, place aux manifestations et aux récits de syndicalisme, la figure de Malcom X planant sur l'engagement des vétérans de la ville. La petite histoire de ceux qui restent rejoint ainsi la grande, celle de l'effondrement d'une ville gangrenée par les inégalités, dans laquelle ielles ont, pour la plupart, vécu depuis toujours, au gré des mutations socio-politiques.
Sans révolutionner le propos tenu sur la déliquescence de Detroit, Andrei Schtakleff fait la part belle à sa communauté la plus marginalisée, les Afro-Américain.e.s, qui tiennent ici le rôle central ; des considérations sur le racisme structurel à la ghettoïsation de la ville en passant par la place de l'église noire dans le paysage urbain, ces derniers s'expriment librement sur leur présence historique à Detroit, et livrent un témoignage aussi important qu'émouvant. Reléguées à des images d'archives ou à des apparitions furtives et malaisées, les personnes blanches à l'écran rappellent douloureusement le fossé qui existe encore entre les différentes ethnies locales et la façon très concrète dont il s'illustre au niveau du marché immobilier.
Filmée au cœur de l'hiver, Detroit nous entraîne avec elle dans sa tourmente ; une tempête de neige souffle à l'écran et accompagne les témoignages les plus difficiles des habitant.e.s. Mais le beau temps chasse la pluie et le printemps finit par dégeler les cœurs. À la fin du film, c'est sur une note ensoleillée que nous quittons les protagonistes, qui se mobilisent pour recréer du lien, des logements sociaux et une économie locale dans la ville qu'ielles aiment. Émaillé de moments de joie résolument optimistes, Detroiters est ainsi tout autant un hommage tranquille à la résilience des plus marginalisés qu'une ode à l'espoir et à l'engagement.
Lena Haque (le bleu du miroir)

Source : message reçu le 30 novembre 00h